Regarder le sport en direct devient l'exception, et plus la règle

« Regarder du sport en direct est devenu l’exception et non plus la règle. Désormais, les fans ne regarderont le sport en direct devant un écran que lorsqu’ils peuvent s’attendre à un moment fort de la saison », déclare Arnaud Simon, directeur général d’In&Out Stories, société de conseil pour organisations sportives nationales et internationales, dans une tribune publiée sur LinkedIn, le 11/01/2021.

Les détenteurs de droits doivent en être conscients ! C’est LE changement majeur dans la consommation de sport à la télévision. Ils doivent accepter ce changement et s’en servir.

Au cours des quatre dernières décennies, le sport était une affaire de direct et de télévision. L’ensemble de la gestion des droits a été construit sur ces deux piliers. INFO : c’est fini !

« Le direct ne permettra plus aux organisations sportives d’aller conquérir de nouveaux fans »

Le direct est bien sûr toujours très important, mais ne représente plus qu’une partie de l’histoire racontée. Dans le meilleur des cas, le direct attire les fans existants mais ne permettra plus aux organisations sportives d’aller en conquérir de nouveaux. La télévision est bien sûr une excellente source de revenus pour les heureux détenteurs de droits « super premium ». Mais, pour 90 % de tous les autres droits sportifs (niveau 2 ou « nice to have »), la ruée vers l’or est affaire du passé. Les groupes de télévision les ont éliminés de leur portefeuille de droits un par un. Le sentence est alors double pour les ayant droits : plus de droits TV ni de prise en charge des coûts de production. Regarder du sport en direct est devenu l’exception et non plus la règle. Désormais, les fans ne regarderont le sport en direct devant un écran que lorsqu’ils peuvent s’attendre à un moment fort de la saison, à un match de haut niveau de leur équipe favorite ou à un sommet Rafael Nadal- Roger Federer.

Ils sont naturellement beaucoup plus sélectifs, simplement parce qu’ils ont mécaniquement moins de temps à consacrer au sport en direct. Ainsi, il ne reste pas beaucoup de « bande passante », quand on passe en moyenne deux heures par jour sur un réseau social, quand 300 millions de personnes passent une heure par jour sur Netflix ou quand 100 millions d’adolescents passent environ 70 heures par semaine sur Twitch !

Par conséquent, les supporters consomment le sport différemment au quotidien.

« Des contenus de complément devenus contenus de substitution »

Qu’il s’agisse de « quasi direct » (« Near Live »), de contenus générés par les fans ou les athlètes (fan and user generated content), à partir, au sein, ou même pendant une compétition, sur et en dehors du terrain, ces contenus sont aujourd’hui les moyens les plus privilégiés pour les jeunes générations (et pas seulement !) pour rester connectées en temps réel avec le sport. Ce qui étaient encore des contenus de complément au direct il y a cinq ans, sont aujourd’hui, dans 80 % des cas, de véritables contenus de substitution. Le « snacking » (consommer peu et des formats plus courts) rassasie l’appétit des amateurs de sport. Le « Live » n’est qu’une brique additionnelle. La pyramide de consommation du sport est bouleversée ! On peut se réjouir ou non de ce changement radical, mais c’est la nouvelle réalité et il n’y a pas moyen de l’ignorer. Tous les indicateurs vont dans le même sens et montrent une tendance structurelle.

« Les audiences des finales de la NBA ou de l’US Open ont chuté d’environ 40 % »

Avant le premier confinement de mars 2020, les audiences moyennes en direct de toutes les grandes compétitions sportives avaient baissé de 15 à 20 %. Comme vous pouvez l’imaginer, les sports sont restés en suspens pendant des mois, les événements à huis clos et le désordre dans les calendriers n’ont pas aidé depuis. Les audiences des finales de la NBA ou de l'US Open ont chuté d’environ 40 %. Je voudrais mentionner ici deux études très récentes de Morning Consult et de PwC confirmant que nous entrons dans une nouvelle ère.

La consommation de contenu vidéo en direct n’est classé que 5e et donne un indicateur de ce que l’on peut attendre dans un futur proche où la GenZ (13 à 24 ans) regarde désormais deux fois moins le sport en direct chaque semaine que les Millenials (24 à 40 ans) !

« Les fans ne dépenseront pas autant d’argent pour un forfait aussi peu flexible »

Ne soyez pas surpris, comme Mediapro en France pour la Ligue 1, si vous ne parvenez pas à toucher des millions d’abonnés payant à 25 euros par mois ! C’est à coup sûr une incompréhension totale de la façon dont les gens consomment aujourd’hui et de leurs exigences. 70 % des fans regarderont un maximum de 10 matches en direct par saison. Ils ne dépenseront certainement pas autant d’argent pour un forfait aussi peu flexible. Enfin et surtout, vous ne parlez pas aux fans de la Ligue, mais à ceux d’un club. Cela fait une grande différence dans l’offre qui sera proposée.

Au cours des deux dernières années, j’ai réalisé, en aidant des ligues existantes ou nouvelles, que la fragmentation numérique n’est pas la seule raison pour laquelle les nouvelles générations ont tendance à s'éloigner des retransmissions d'événements en direct.

Ce serait trop simple et cela dégagerait les ayant droits de leurs responsabilités. A l’exception des grands sports américains, pour toutes les autres organisations sportives mondiales et européennes, « l’expérience en direct » n’a pas évolué assez vite pour continuer à intéresser et à rajeunir la base de fans.

« Que les autorités sportives accélèrent d’urgence cette transformation »

Par expérience en direct, j’entends le format et et les règles. Il s’agit là d’un réflexion plus profonde qu’une simple question de nombre de caméras, d’innovations en matière de « look & feel », d’avoir accès à des « insights » avant et après le match. Il s’agit là de grandes évolutions par rapport aux « décennies du câble » (années pendant lesquelles les opérateurs de TV payante dominaient le marché des droits et les audiences connexes notamment aux USA). La télévision a fait une partie du travail, mais le temps est venu pour les autorités sportives d’accélérer d’urgence cette transformation. Il s’agit de remettre en question le « produit » en soi. Je sais que c’est la plupart du temps très tabou, néanmoins…

« Les règles et le format du sport doivent éliminer les temps morts et travailler sur une plus grande intensité »

Les règles et le format du sport doivent éliminer les temps morts et travailler sur une plus grande intensité. L’expérience en direct doit également être beaucoup plus immersive. La technologie est là. Il appartient maintenant aux organisations sportives d’adapter rapidement les règles à ce nouveau rythme et de permettre l’immersion. On n'écrit pas et on ne diffuse pas une série de fiction ou un film sur Netfilx ou HBO aujourd’hui comme on le faisait dans les années 70. Parfois, j’ai l’impression que le récit sportif n’est pas si différent aujourd’hui de ce qu’il était il y a 30 ans. Entre-temps, la société a beaucoup changé et l’esport a fait bouger les choses…Ce n’est pas une grande surprise de voir que les fans de sport traditionnels sont très âgés (61 ans en moyenne pour un fan de tennis par exemple !).

Mon expérience de la Ligue internationale de natation ou de l’Ultimate Tennis Showdown (UTS) m’a appris que le sport professionnel reste un terrain de jeu unique et fantastique et que les plus grands champions de la planète sont impatients de tester de nouveaux formats et de nouvelles règles. Plus que cela : ils s'éclatent ! Je me souviens que, chez Discovery, j’ai participé à une réunion avec l’USTA (organisateur de l’US Open). Nous avions alors formuler une demande commune avec ESPN pour l’US Open : interviewer un joueur sur le terrain après chaque set. La réponse a été NON car les joueurs n’accepteront jamais.

Avez-vous regardé et entendu les conversations entre commentateurs et joueurs à chaque changement de côté pendant les matches de l’Ultimate Tennis Showdown ? Cela n’a pas de prix, cela change la donne, et ce n’est pas sorcier ! Il s’agit simplement de changer les habitudes.

« La VAR, occasion manquée dans le football »

L’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) dans le football est une occasion manquée à cet égard. Les téléspectateurs sont exclus de ce qui se passe. Au lieu de créer un moment fort partagé, les fans sont invités à attendre sur le pas de la porte. L’expérience des fans n’a clairement pas été intégré dans son équation lorsque la VAR a été mise en place. Les produits sportifs en direct doivent offrir intensité élevée, imprévisibilité et immersion. Chaque évolution du format et des règles doit prendre en considération ces trois paramètres.

« Important de disposer de contenu « quasi en direct » »

Comme nous venons de le dire, il est essentiel de travailler sur l’expérience en direct, mais cela n’est malheureusement pas suffisant. Il est très important de pouvoir disposer de contenu « quasi en direct » quelle que soit leur forme. L’objectif ici, pour les détenteurs de droits, est d'évaluer correctement le contenu et de garder autant de libertés que possible pour diffuser ce type de contenu sur toutes les plateformes médias qu’ils possèdent. Dans toutes les négociations de distribution que je mène avec les réseaux du monde entier au nom des détenteurs de droits, c’est l’une de mes priorités. Une bonne entente avec les partenaires de diffusion n’est pas seulement une question de droits, c’est une question de visibilité et, plus important encore, une compréhension commune du fait que plus le contenu en direct est poussé par tous les acteurs, mieux il est possible de nourrir fans et plateformes.

Lorsqu’un détenteur de droits veut être hyperactif sur ses médias en direct, il doit être perçu comme une bénédiction pour ses partenaires médias et non comme un compétiteur ou un potentiel risque de cannibalisation.

« Le direct n’est plus qu’une partie de votre narration sportive ». C’est ainsi que je commence chaque présentation à un client. En fait, chaque solution, chaque proposition, chaque décision, chaque action découlera de cette nouvelle réalité. Simple, brutale et parfois difficile à accepter, mais condition préalable commune essentielle pour aller de l’avant et travailler ensemble sur de nouvelles voies de narration et de distribution.

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