Arnaud Simon dans Sport Stratégies "Offre sportive : une copie à revoir ?"

« L’industrie sportive est aujourd’hui si concurrencée, qu’elle doit revisiter ses codes, pour offrir un contenu intense, immersif et imprévisible », Arnaud Simon, Fondateur de In&Out Stories

Ancien Directeur Général d’Eurosport France, il y a deux ans, Arnaud Simon a fondé In&Out Stories, dans le but d’accompagner les ayants-droit dans leur stratégie de narration et de distribution. Interrogé par Sport Stratégies, son verdict est sans appel : l’offre sportive doit être repensée.

Arnaud Simon, la consommation du sport est en pleine mutation, avec des fans de plus en plus exigeants et volatiles. En matière de distribution, est-ce donc la fin du modèle linéaire traditionnel ?

Le modèle linéaire classique arrive en effet à bout de souffle. De nos jours, le sport est extrêmement concurrencé par d’autres industries de l’entertainement, ce qui force les ayants-droit et organisateurs à imaginer des mécaniques de séduction et d’engagement mieux ficelées. Je vois trois notions indispensables à la conception d’une offre sportive actuelle : la flexibilité, l’affinité et le prix. La flexibilité est essentielle puisqu’il faut permettre à tout fans de pouvoir s’abonner ou se désabonner sans contrainte à une offre sportive. De même, la variable affinitaire ne peut plus être ignorée. En effet, une offre de contenu doit aujourd’hui répondre aux intérêts des consommateurs, lesquels ont des besoins ciblés. Il faut donc écouter leur désir, et leur permettre de suivre ce qu’ils souhaitent en échafaudant une offre non standardisée. Pour certains, l’intérêt pour le sport s’articule presque essentiellement autour de leur équipe fétiche, il serait donc judicieux pour un distributeur de proposer une formule adaptée et spécifique en conséquence. Enfin, le prix est un paramètre crucial. Il faut être en mesure de proposer un tarif attractif en continu. Dans un premier temps, il s’agit d’être très offensif, et de proposer un prix d’appel assez bas pour engranger un maximum d’abonnés, avant d’augmenter le montant graduellement.

Des paramètres que Mediapro n’aurait pas pris en compte par exemple ?

Mediapro pourrait en effet être un cas d’école. Le groupe a foncé tête baissée, sans écouter le souhait des fans, en imposant un tarif fixe, assez prohibitif, sous prétexte qu’il était propriétaire des droits de la Ligue 1. Mediapro pensait ses droits suffisamment puissants pour imposer sa politique tarifaire. Et au delà du prix, les dirigeants de la chaîne ont très mal exploité le potentiel de leurs droits, en ne définissant aucune segmentation de ses offres… La façon de consommer me semble de nos jours, aussi importante que le contenu qui nous est proposé. Or, Mediapro n’a pas intégré cette nécessité. La chaîne a certes investi sur le système de captation, sur les consultants et journalistes, sauf que ce n’est plus ce type de paramètre qui convertissent les fans de foot en abonnés.

Finalement, le rapport de force ayants-droit/ diffuseur/ consommateurs ne serait-il pas en train de s’inverser ? Arrive t-on à un tournant de l’histoire ?

L’histoire nous a appris que le consommateur restait roi, qu’il obtenait toujours ce qu’il désirait. Les acteurs du sport doivent surtout tirer des leçons, et mettre au point des offres adaptées aux modes de consommation actuels. Prenons l’exemple de la musique, en crise profonde au début des années 2000 avec l’apparition de tous les sites peer to peer. Au départ, tout le monde criait au crime, et à juste titre car il s’agit de piratage, mais l’industrie a fini par intégrer cette déviance collective comme un signal, pour finalement concevoir des offres en streaming sur-mesure. Le sport n’est pas exempt, et doit aller en ce sens, en s’orientant vers des dispositifs digitaux, affinitaires, packagés, et donc attractifs. Prenons le cas d’un supporter bordelais, il pourrait être tout à fait judicieux de lui soumettre un pack d’appel de 5 matchs des Girondins, à prix attractif, pour ensuite lui formuler d’autres contenus plus larges liés à ses centres d’intérêt.

Dans cet ordre d’idée, Jean-Michel Aulas évoquait récemment l’idée d’une offre aux allures de Spotify…

Oui, même si nous en sommes loin, un dispositif agrégateur algorithmique serait l’idéal. Nous arrivons à ce que les anglais nomment la « subscription fatigue » qui n’est autre que la lassitude des fans de cumuler plusieurs abonnements, dont ils n’exploitent qu’une petite portion. Il est temps d’écouter leurs besoins, et la façon dont ils consomment. Les fans attendent une offre digitale affinitaire, dans laquelle ils seront prêts à payer uniquement pour ce qu’ils souhaitent visionner. Je suis convaincu que les ayants-droits et diffuseurs actuels pourraient y trouver leur compte également en attirant les consommateurs avec des offres très flexibles, et peu chères au départ. Ils pourraient s’appuyer sur une structure digitale algorithmique pour adresser des contenus pertinents en fonction du profil de supporter. Il serait alors possible d’envisager des offres tournant autour du club fétiche de chaque fan par exemple. Les deux parties s’y retrouveraient, et je suis persuadé que la question du prix serait alors secondaire, tant le fan aurait le sentiment de payer pour ce qu’il souhaite regarder.

Au-delà des modes de distribution, pour doper la consommation sportive, les sports doivent-ils eux mêmes renouveler leur format, en créant plus d'interactions avec le public ?

J’en suis intimement persuadé. Je pense qu’il faut exploiter tout le potentiel entertainement du sport. Plus précisément, il est important de faire évoluer le format de narration de sorte qu’il soit en accord avec les modes de consommation actuels. Cette nécessité d’évoluer n’est pas propre au sport. Si vous observez la façon dont sont construits les feuilletons d’aujourd’hui, et ceux des années 70, vous constaterez qu’il y a eu de grandes transformations ! Le sport ne peut donc être figé, et doit composer avec la réalité de 2020. C’est ce qu’a souhaité Patrick Mouratoglou, en lançant l’UTS. Observant le vieillissement du fan de tennis, et la difficulté de la discipline à renouveler la base de fans, il a opté la création d’une compétition dynamique, gamifiante, et à suspens. Même analyse pour l’ISL, qui a souhaité pallier aux failles de la natation. Pour résumer, l’industrie sportive est aujourd’hui si concurrencée, qu’elle doit revisiter ses codes, voire, en emprunter à d’autres univers, pour offrir un contenu intense, immersif et imprévisible. C’est tout ce qu’attend le fan.

Mais opter pour un changement de narration ne risque t-il pas d'occasionner une perte de repère pour les fans ?

Non, et l’évolution du sport aux Etats-Unis l’illustre bien. La NBA ou NASCAR n’ont pas cessé de transformer leur cadre sportif mais aussi audiovisuel. Ils ont travaillé main dans la main avec les athlètes, franchises et écuries pour améliorer le produit final. En Europe, il réside un réel problème de communication entre les ligues et diffuseurs, qui ne sont pas capables de de travailler de concert pour peaufiner l’objet qui les unit. Par ailleurs, j’ajouterais que les nouveaux formats de narration peuvent représenter des compléments utiles aux disciplines historiques. L’UTS par exemple, ne vient pas en concurrence à l’ATP, mais doit être considéré comme une variante pour toucher un nouveau public vers le monde de la balle jaune. Disons que c’est une porte d’entrée alternative, et c’est dans cette optique que le 3x3 ou le Sevens ont été imaginé, pour nourrir le basket et le rugby.

-- Alexis Venifleis Rédacteur en chef adjoint Sport Stratégies

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